Chassol fait partie des OVNIs de la scène musicale. Sur scène, il est accompagné de son piano mais aussi d’un talentueux batteur. Mais ce n’est pas tout puisqu’ils sont aussi accompagnés par les dizaines de personnes, d’animaux, de volatiles, de moteurs, d’instruments de musique qui ont été filmés durant différents voyages. Indiamore, comme son nom l’indique nous plonge pendant près d’une heure dans la magnifique culture indienne. On a profité de son passage à Bruxelles pour en découvrir un peu plus sur sa musique.
Salut Chassol!
Bonjour!
Est-ce que tu as été inspiré par d’autres personnes pour tes compositions ?
Carrément oui, je vais te dire un truc que disent beaucoup de gens, un bon artiste emprunte et un très bon artiste vole.
Pour moi concrètement c’est dans l’histoire de la musique que cette technique existe comme n’importe quelle autre technique. Ça s’appelle le speech harmonisation. Le fait de mélodifier de la prose. Dans les années 20 il y avait Yan Asek, dans les années 30 Bartók, un compositeur hongrois, Hermeto Pascoal en 1992 dans un album qui s’appelle Festa Dos Deuses, c’est un brésilien albinos, compositeur de génie, virtuose dingue, il joue avec des cochons, enfin il joue avec tous les sons, il fait couiner les cochons il fait plein de trucs comme ça. Et dans cet album tu as trois tracks comme des interludes dans lesquels tu as une petite fille dans son bain avec sa mère et il harmonise tout ce qu’elles disent, il y a aussi un discours de président, un commentaire de match de foot et il harmonise ça exactement comme j’ai fait, enfin j’ai vraiment pris la technique.
Et il y a Steve Reich qui fait ça en 1988 dans l’album Different Trains ou il harmonise des voix de survivants de l’holocauste. Donc j’ai pris cette technique, mais je l’ai appliquée à la vidéo.
Pour la composition vidéo as-tu une équipe qui travaille avec toi ?
Écoute oui j’ai une toute petite équipe, ça s’est fait au fur et à mesure. Au début je prenais des vidéos du Net que je commençais à harmoniser tout ça et puis le musée d’art contemporain de La Nouvelle-Orléans m’a passé une commande. Ils voulaient faire une expo de mes vidéos que je prenais du net et puis je me suis dit : La Nouvelle-Orléans je vais partir et filmer là-bas comme ça j’aurai mes propres images, comme ça j’en serai propriétaire, ce qui change tout. Et donc là j’ai monté une petite équipe avec un pote journaliste qui connaissait bien La Nouvelle-Orléans, avec un pote à nous qui était de LA un réalisateur qui filmait et on avait un pote acteur de LA, un mec qui jouait dans les experts qui faisait le son.
Ça, c’était la première expérience vraiment du premier film et puis après ça s’est étoffé j’ai choisi vraiment des gens dont c’était le métier. Et donc j’ai pris un ingénieur son qui est mon ingé son actuel, il venait avec des perches et tout le matériel et une de mes meilleures amies qui est réalisatrice et qui connaissait bien l’Inde et on est partis tous les trois en Inde et on a fait la même chose pour la Martinique. On est à 3 c’est très mobile alors du coup c’est bien plus facile on ne n’a pas besoin de faire beaucoup de mise en scène même des lumières, on prend les choses naturelles.
Est-ce qu’il y a un plan lorsque vous partez prendre du son et des images ou est-ce que c’est au feeling ?
Ce n’est pas l’un ou l’autre, mais plutôt les deux en même temps. C’est-à-dire que je connais bien le processus maintenant pour arriver à avoir ce que je veux. Mon but c’est de me retrouver à la maison avec de la matière que j’adore, que j’aime, que j’ai pris moi-même et que je vais chérir donc que je vais vraiment pouvoir travailler avec plaisir. Je prépare pour avoir cette matière, je sais comment la préparer donc je prends des rendez-vous avec les gens que je veux avoir dans le film, mais je les espace toujours d’un ou deux jours parce que tu te rends compte que les gens quand tu vas les filmer ils te disent toujours : « c’est con t’aurais dû venir hier il y avait un super groupe, un super chanteur » et bah file moi son numéro je l’appelle et je vais le voir. Comme t’as un jour de battement, tu peux y aller. Si tu te mets des trucs tous les jours, ton planning est full et chaque jour tu dois payer les chambres d’hôtel tout ça.
Donc je laisse de la spontanéité et en même temps, je prépare quand même un peu, j’écris de la musique, pas complète, mais j’écris juste des patterns, des accords, des choses que je demande aux musiciens de me faire, mais pas trop pour qu’il y ait encore de la spontanéité.
Quand tu reviens tu as une matière énorme, comment tu fais pour sélectionner ce que tu vas choisir et ce que tu vas enlever au final ?
Ça, c’est une grosse étape, je suis trop content quand je rentre je défais mes valises je sais que ça va être un moment assez important le dérushage. Déjà je dérushe chaque soir quand on enregistre, je nomme, je classe hyper bien les sons les vidéos, genre « église », » cœur »…
Je sais déjà ce que j’ai avant même de revenir, mais je n’ai pas tout vu, donc je me cale à mon bureau j’ouvre mon 3e œil, je prends des notes et je regarde tout en imaginant le déroulé du film le sens que ça va prendre ce qui va pouvoir rentrer dedans et tout ce qui va être intéressant en termes d’image ou de son. Et puis ensuite je bosse dessus au fur et à mesure, je sculpte tu vois.
Après La Nouvelle-Orléans, l’Inde et la Martinique, il y a un autre pays qui t’inspire ?
Il n’y pas un pays en particulier qui m’inspire c’est plutôt des sujets. Le prochain ça sera en Seine-Saint-Denis, à côté de Paris. Pas d’exotisme. Toutes les images et tous les sons sont intéressants si tu les aimes. Ça dépend de comment tu as enregistré, quelle est l’histoire de l’enregistrement, si tu as parlé pas mal avec les gens avant, si tu t’es investi, ils deviennent intéressants quand tu les ramènes chez toi. Je viens, je leur montre ce que je fais, comment je loop… qu’ils sachent comment ils vont être bouffé. Il y a beaucoup de respect dans ma démarche, je ne les accélère jamais, je ne les ralentis pas. Et puis c’est tout le temps des gens que j’aime que je filme.
Tu as fait des musiques de film, tu as été Chef d’orchestre, tu as fait des collaborations avec de grands noms de la musique tels que Phoenix, Franck Ocean, ainsi que tous tes projets personnels. Qu’est-ce que tu aimerais encore accomplir ?
Pas quelque chose en particulier, mais juste continuer à faire ce que je fais en m’engageant mieux, en faisant mieux les choses. Je crois qu’on devient de plus en plus professionnels, en sachant refuser des choses, en faisant mieux les plans, les commandes, les choses qu’on engage nous-mêmes. Et donc arriver à des propositions, des films, des disques mieux faits. Avant je voulais gagner un Oscar de la meilleure musique de film, mais maintenant je m’en fous.
Si on t’en donne un, tu fais quoi ?
J’irai le chercher je remercierais papa, maman. J’accepterais avec plaisir, mais je ne suis plus dans la recherche de ça. Avant, j’avais des trucs, je voulais jouer à Carnegie Hall par exemple, mais maintenant c’est passé j’ai juste envie de faire les choses mieux, ce qu’on fait déjà, mais en mieux.
Est-ce qu’on t’a déjà proposé de composer sur des images que tu n’avais pas choisies ?
Ça arrive pas mal, je l’ai fait avec des gens que je connais pas mal. Je l’ai fait avec Xavier Veilhan, un plasticien français qui a pas mal de succès, il représente la France à la Biennale de Venise. D’ailleurs il a construit dans le pavillon français un studio d’enregistrement assez dingue avec des instruments anciens, modernes et sur 6 mois il invite plein de musiciens comme Nigel Godrich, Brian Eno, les mecs d’Air… et j’y passe pendant 3 jours. Enfin je vous raconte ça, mais lui j’ai déjà fait des lives où je jouais avec des images de ses films au Japon, des images d’archives, mais sinon je préfère faire mes images.
Sur les spectacles live, c’est bien préparé, mais est-ce que tu laisses une partie à l’improvisation ?
Oui c’est assez subtil, ce n’est pas comme un jazzman qui improvise. Le film qui passe, le montage est fait, il y a une musique qui est écrite qui ne bougera pas et moi je retire les pianos et la batterie. On est face à face avec mon batteur et on joue les parties de batterie et les parties de piano, mais tout ce qui est enregistré dans les films, ça ne bougera pas. Nous on a cette partition qui est écrite, c’est comme un fil et ça on peut le tendre comme un élastique et y revenir toujours. Donc si je sais que j’ai des rendez-vous dans cette ligne, je dois jouer tel accord, do majeur, une telle phrase… le do majeur par exemple je peux le jouer de mille et une façons, je peux le jouer à différentes octaves, avec un accord ouvert, un accord plus fermé, je peux m’amuser à improviser dans l’interprétation.
Ça t’est déjà arrivé que tes images te lâchent en plein concert ?
Oui c’est déjà arrivé, mais on commence à avoir de l’expérience donc the show must go on. Une fois en Belgique, leur vidéoprojecteur avait lâché, j’avais décidé d’arrêter le live et j’ai dû tenir un peu les gens le temps qu’ils essayent de remettre tout en marche. Il y a eu d’autres fois où ça s’arrête et nous on continue à jouer et quand ça se relance et qu’on est pile au bon endroit et là on se dit YES ! Ça, c’était cool ! De façon générale je suis prêt à ce que ça s’arrête j’ai eu les pires trucs déjà.
Dans ton dernier projet, Ultrascore 2, tu as invité d’autres artistes à rejouer certains de tes morceaux, comment les as-tu choisis ?
Je n’ai pas eu à les sélectionner parce que c’est pas comme s’il y avait 10 milliards de gens qui se précipitaient pour remixer mes trucs. C’est plutôt ceux que je connais qui m’ont proposé des remix et je les ai tous aimé, je n’ai pas été gêné de recevoir un remix que je n’ai pas aimé. C’est des gens avec qui j’ai travaillé avant comme Yuksek ou AquaSerge, qui a fait une super cover du morceau Les oiseaux, j’ai un pote avec qui j’avais un groupe dans les années 2000, David Poirier, qui a fait un super Remix de Reich & Darwin, un morceau de Big Sun. Je les tous aimé… Pieuvre aussi qui a fait La route de la trace. Ce n’était vraiment pas dur de faire ce disque.
C’est quoi ton esprit une heure avant de monter sur scène ?
Rigolade, on écoute tout le temps les mêmes morceaux, souvent un son de Magma qui s’appelle Zombies, on écoute pas mal de musique, des trucs qui nous chauffent, on fait des étirements, on boit un petit verre, on raconte des conneries. Mais on est détendus parce qu’on adore jouer.
Une anecdote sur une de tes dates qui t’a marqué ?
La fois où on a joué Indiamore qui était la plus dingue pour moi, c’était en février 2014 en Inde. On a fini à 7 h de taxi de Jodhpur, on était dans le désert, c’était le Desert Festival, qui était monté par des genres d’hipsters indiens. On a joué à minuit sous la pleine lune en pente avec un drap en guise d’écran et quand on est partis pour aller voir les DJ set et qu’on a marché dans les dunes sous la pleine lune on entendait le son se rapprocher au fur et à mesure que l’on avançait c’était assez magique.
Propos recueillis par Jo et Matias