Vous l’aurez compris, car il est partout, Sébastien Tellier a sorti Domesticated, album dédié à sa vie de famille dont le thème, on ne peut plus opportun pour l’époque, relève plus du prétexte que de l’engagement artistique. Covid oblige : entretien Skype.
Vous êtes combien de l’autre côté du téléphone ?
Je suis tout seul. Je suis au label.
C’est frustrant de pas pouvoir accompagner la naissance de l’album ?
C’est bizarre, mais en même temps comme ça s’appelle Domesticated c’est censé être clean, y’a des histoires de savon, de propreté, ça colle parfaitement avec l’époque. On se méfie des virus, on a besoin de changement. Dans l’album y’a une chanson qui s’appelle Atomic Smile qui dit qu’on a besoin du monde d’après. Et tout de suite on le veut. On ne veut pas de violence, on veut juste que ça évolue dans le bon sens. J’ai fait un album très électro qui va bien avec ce côté trop propre dans lequel on est aujourd’hui parce qu’on est toujours en train de se laver les mains, on a un masque… Je ne laisserai plus jamais de la vie mon fils ramasser un truc dans la rue. A la campagne oui, mais à Paris même pas un caillou. J’aurais pu repousser la sortie de l’album en septembre ou attendre des jours plus heureux, mais ça me faisait plaisir d’être en communion avec ce que traverse la planète et je trouvais que ça avait vraiment un sens de sortir l’album maintenant, ça pouvait pas mieux tomber. C’est pas opportuniste, mais d’un coup les planètes s’alignent et y’a un délire commun entre ce que vit le monde et mon disque.
Sur cet album, la question du domestique est hyper développée. Le propos vient en amont ou en aval de vos compositions ?
Je me vois surtout comme un musicien. Je me vois même pas comme un parolier ni un auteur. Pas du tout. Je fais de la musique, une fois qu’elle est un peu composée, je commence à me demander ce que je pourrais bien dire dessus. J’ai pas envie de faire de la musique instrumentale. J’aime bien les codes de la pop. C’est la musique qui m’oblige à mettre des paroles sinon j’en mettrais même pas. Finalement la vie domestique c’est parce que c’est l’étape de ma vie aujourd’hui. Je me contente de parler de moi. Je parle de trucs qui comptent pour moi, mais finalement je trouve que mes sujets effacent un peu trop ma musique. Je me vois comme un mec qui enchaîne les accords, qui passe une mélodie dessus, je me vois comme un compositeur. Quand je fais des albums concept, ça donne une importance folle au sujet. Alors que finalement ce qui me plaît, c’est de partager de la musique. Le texte, le sujet, c’est un truc pour habiller, c’est comme un paquet cadeau, un décor de théâtre.
Y’a plusieurs dimensions dans votre musique ?
Ce que j’aime, c’est que l’on soit en équilibre entre deux émotions. La musique est à la fois pleine d’espoir et désespérée. J’adore les chansons à double emploi comme La ritournelle. C’est tout autant une chanson d’espoir que de désespoir. Par exemple Pépito Bleu, c’est une chanson qui a l’air comique, mais qui est hyper sérieuse à la fois. Ça parle du rapport des gens de ma génération à la religion, des envies de grandeur, de la faiblesse. Ça parle de tout ça, mais avec des histoires de pépito bleu. On ne peut pas avec une chanson, à part une très longue, couvrir toutes les émotions, mais je trouve que deux émotions par chanson c’est une bonne balance. Mais je parle pas d’un passage gai puis d’un passage triste, mais au sein d’une même mélodie, d’une même suite d’accords, que ça flotte. Et c’est ça qui donne le côté aérien. Ça s’obtient en mettant des opposés au sein d’un même truc. Il faut qu’il y ait un paradoxe au sein de la chanson pour qu’elle me fasse planer. C’est pour ça peut-être aussi que certaines chansons peuvent être écoutées en soirée ou allongé. Y’a souvent une dualité et une double lecture.
Le côté pop de la parole amène une autre crédibilité ?
Ce que j’aime bien, c’est utiliser ma voix. Si tu veux quand je trouve une mélodie, très souvent je me dis, ah bein cette mélodie-là elle serait bien chantée plutôt que jouée à la trompette ou à la guitare sèche. Et c’est souvent comme ça, tu trouves une mélodie et tu te dis que pour vraiment la mettre en valeur il faudrait la chanter parce qu’il y a aussi par exemple des mélodies qui jouées au piano n’évoquent rien alors qu’avec le bon feeling de voix, la bonne respiration, le bon ton, cette petite mélodie devient magique. J’en ai fait pas mal des morceaux avec des AaaaaAah, avec des Ah et tout. Dès mon premier album j’ai commencé à faire ça. Mais je peux pas faire que des Aaah, il faut que ça ait de la gueule au final. Je me sens obligé de faire des textes, mais c’est pas une volonté farouche de ma part. Autant composer c’est vraiment un besoin, autant écrire des textes, je le fais parce qu’il faut bien que la musique existe et qu’elle soit finie. Mais c’est pas du tout ma priorité.
Sans paroles, elle ne serait pas finie ?
Non parce que les paroles c’est aussi une façon de décoder la composition. Si t’as des accords septième, souvent très ensoleillés, c’est beaucoup utilisé par exemple dans la musique brésilienne, tout d’un coup si tu chantes le mot soleil, plage, ça appuie le côté septième de l’accord, le côté soleil. Et c’est dans ce sens là que je me sers des mots pour mettre en valeur la compo. Parfois aussi j’y prends du plaisir, ça devient comme un jeu. C’est comme un petit exercice de maths que tu prends plaisir à résoudre. Mais c’est pas mon obsession. Autant la manière dont je vais introduire le morceau, comment je vais le finir, c’est quelque chose qui pourrait m’empêcher de dormir la nuit. Autant les textes, une fois que c’est bien, que ça scintille un peu comme j’aime c’est bon, je m’angoisse pas plus que ça.
Vous abordez la vie quotidienne, quelle est la place du fictionnel dans votre écriture ?
C’est vrai que j’ai tendance à fuir la réalité, je ne suis pas quelqu’un d’ancré dans la réalité. Je n’aime pas la réalité. Pour moi la réalité ne suffit pas. On n’est pas assez libres, y’a pas assez de fun, je me sens bridé. Je suis surtout à l’aise dans l’imaginaire. C’est là où je me sens bien. J’aime bien m’imaginer être ce que je ne suis pas, m’inventer des souvenirs, des souvenirs de plage. J’y crois presque plus qu’à mes vrais souvenirs. J’aime bien m’inventer un passé. Ça me porte et ça m’inspire à fond. C’est comme les premiers poèmes que t’écris quand t’es petit où t’imagines que t’es orphelin. C’est faux, mais tu te mets dans des positions hyper puissantes émotionnellement. Ça, je le fais beaucoup. Après il faut une bonne partie de réel dans la vie sinon on devient vite fou ou borderline et malheureux. Rester un doigt de pied dans le réel c’est quand même très important pour être heureux. J’ai l’impression que le bonheur nécessite quand même une forme de stabilité. Il faut certainement avoir la tête dans les étoiles et les pieds sur terre, c’est le bon équilibre pour être bien. De par mon métier qui est d’imaginer des chansons, je suis très souvent plongé dans l’imaginaire et ça me va bien. Quand j’imagine des trucs sur mon canapé, je ne suis pas en train de perdre mon temps. Je suis justement en train de faire ce que j’ai à faire et je suis fortement content de cette situation. Je trouve que l’imaginaire c’est une bonne fuite, et puis c’est gratos de rêver. Y’a une forme d’avenir dans le rêve. Je dirais que l’imagination c’est plutôt un truc actuel.
Y’a beaucoup de compos dans les placards qui attendent d’être terminées ?
Oui, par exemple là j’ai que huit chansons sur l’album, mais j’ai dû en composer au moins une centaine, parce qu’aujourd’hui avec la technologie — enfin c’est pas que je sois un spécialiste de la technologie – ça va vite d’enregistrer un morceau. Pour les gens qui ont GarageBand sur leur mac ou peu importe, t’allumes le truc ça y’est c’est bon. Le temps que l’ordinateur s’allume c’est bon t’as fait de la musique, t’enregistres un truc. Quand j’ai commencé, on enregistrait encore sur les magnétos à bandes. Mes chansons, c’était sur des petits dictaphones. Parfois j’en perdais un, c’était pas la bonne cassette… Une bonne compo, c’était super précieux. Maintenant c’est sur ordi, disque dur et c’est réglé. Donc ça, ça me permet d’avoir une grande cadence de composition donc effectivement mon ordi il est blindé de bouts, de boucles, parfois j’ai qu’un refrain, parfois j’ai qu’un couplet, parfois j’ai un truc qui dure vingt minutes, mais sans aucun intérêt.
La ritournelle a 16 ans. Y’a eu une faille spatio-temporelle ?
Je devais avoir 25 ans. C’est vrai que c’est fou. Mais ce qui est bien avec cette chanson c’est qu’elle vieillit pas trop. C’est une chanson que j’ai pas produite à la mode de l’époque. C’est pas une chanson à la Daft Punk ou à la David Guetta, formidables d’ailleurs à l’époque. Je voulais une chanson intemporelle. C’est des instruments intemporels, y’a du violon, du piano électrique, de la batterie, de la basse, une voix. Et on se dit pas bein tiens La ritournelle c’est 2004. C’est juste La ritournelle. Et ça me plait bien. Bien sûr j’ai pas fait exprès, mais il se trouve que ça donne ça comme résultat donc j’ai eu de la chance.
Vous enregistrez pour l’instant ?
En ce moment je suis en studio, j’enregistre un disque, je refais des morceaux de mon catalogue en version simplifiée, sans toute la production qui va avec. C’est vraiment un disque qui pourrait montrer l’essence de ce que je fais, c’est à dire les compositions, la mélodie, les accords et c’est tout.
C’est compliqué de faire simple ?
Ouais. Par exemple si on veut jouer une basse – une mesure c’est quatre temps en général – bien marquer les quatre temps de la basse pendant une minute c’est quasiment impossible. Pourtant c’est ce qu’on imagine être le plus simple. Un deux trois quatre. Un deux trois quatre. Faire ça pendant une minute c’est impossible. C’est vraiment en musique presque qu’on découvre les règles de la vie, enfin moi c’est là que je les ai découvertes. C’est vrai qu’il y a plein de règles en musique qui s’appliquent à la vie, notamment que d’atteindre une certaine simplicité, c’est dur. On grandit, on est un enfant puis on devient un ado, tout devient très compliqué et c’est très difficile après avoir passé l’adolescence de resimplifier son esprit.