Je me souviens de la première fois que j’ai entendu Veence Hanao. 2008, l’année de toutes les folies. Je partage un énième pétard avec mon pote D., dans une Suzuki Alto antédiluvienne sans auto-radio (R.I.P. Suzie). On écoute du son sur un vieux baffle Logitech de la taille d’un parpaing. Là, une phrase qui m’interpelle et que je garderai en tête pendant longtemps: « Fous moi la paix, j’suis dans mon monde. J’viendrai faire un tour dans l’tien quand il en vaudra la peine ».
J’accroche direct, et au fil des ans et des albums, V.H. rejoint les rangs de ces quelques artistes dont des phrases me reviennent en tête, comme des mantras, pour illustrer des situations du quotidien, au même titre que Noir Désir ou le Klub des Losers – ouais je sais, « j’aime pas les limos, j’préfère les corbillards », comme dirait l’autre.
La nouvelle de ses problèmes d’audition et de l’arrêt de sa carrière était tombée dur, et quand je suis tombé sur le « Larsen » de novembre qui titrait en première page « Veence Hanao – Le grand retour », j’ai sauté de ma chaise et fait une vieille roue dégueulasse.
Le 2 mai, je quitte donc ma province liégeoise et prends le chemin du Botanique, déjà conquis par mes quelques écoutes des tracks balancées au compte goutte sur Youtube et de l’album sorti quelques jours plus tôt, impatient de découvrir ça en live.
Le concert de 2013 dans la Rotonde, pour Loweina Laurae, m’avait totalement séché. 90% du temps, je déteste les concerts de rap: les gens gueulent, les instrus vont trop fort, les voix pas assez, et je finis invariablement par me bourrer la gueule pour tuer le temps. Du coup, le silence religieux du public qui boit les paroles de ce conteur de l’extrême, dans l’ambiance intimiste de cette salle, m’avait laissé sans voix.
Après 15 min de marche parmi quelques vitrines garnies d’oiseaux exotiques plutôt déplumés, un savoureux sandwich triangle et un Orval, je retrouve mes potes autochtones et je découvre le lieu des festivités: le Grand salon. Des coussins, des tabourets de bar, des canapés des balcons en fer forgé, le tout entourant le set up du Motel et un pied de micro. Une ambiance feutrée et hors du temps, jackpot!
La salle est presque vide et le début du live de Thamel ne nous transcende pas, donc on sort partager une pils et échanger quelques blagues. Grossière erreur: à notre retour, c’est pas « Chasse et pêche », mais chasse aux places. On se trouve un petit coin bien foutu niveau son et niveau vue et on attend l’artiste.
Illustration by Jill.
Les lumières s’éteignent, deux faisceaux de lampe torche déchirent la nuit artificielle. La lumière revient, tamisée, presque lugubre, et Veence débute son histoire en nous emmenant sur son « Parking ». Le public se tait quand il faut, applaudit dès qu’il en a l’occase. La scéno est soignée, épurée, le qualité de son est top. Les titres de « Bodie » s’enchaînent, l’artiste nous ballade au rythme d’un flow millimétré et viscéral et de son écriture toujours sans concession mais poétique, violente mais sensible, parfois vulgaire mais jamais gratuitement. L’association avec Le Motel est une vraie bonne surprise.
La communication avec le public est forte, l’artiste a bon d’être là et c’est communicatif. On se marre un coup quand il se rend compte que sa lampe torche est allumée dans sa poche depuis le début du concert et qu’un faisceau lumineux lui sort du cul, on croit découvrir qui est Mélusine, et enfin on a droit à un petit saut dans le passé avec « Kick, snare, bien », « Chasse et pêche » et « Midi Pile », avant de revenir dans le présent et de conclure, arbalète à la main, chassant ces connards de moineaux moqueurs.
Je reste un peu sur ma faim – j’aurais pas craché sur un petit « GTA » et « Faut bien qu’ils brillent », et rejouer « La jungle » pour terminer c’était peut-être pas nécessaire – mais comme je m’y attendais, j’ai passé un grand moment. Je claque une dernière bière et une bise à mes potes et trace jusqu’à la gare – j’ai (presque) 30 piges, faut qu’je rentre et faut qu’je m’emmerde.
Morale de l’histoire: l’artiste a grandi, ses thématiques et sa façon de les aborder aussi. Moi aussi j’ai grandi, mais putain, 10 ans plus tard, je suis toujours pas guéri du V.H.
Lousk.