A l’occasion d’une édition spéciale des FiftyFifty Session installée au Kanal, on a passé un peu de temps avec Lord Esperanza, venu présenter son nouvel album Drapeau Blanc. Le rappeur a l’élégance de ceux qui n’existent pas sans les autres. Il se réalise tant à travers l’échange que l’introspection. Dans un cas comme dans l’autre, l’émotionnel est la base du dialogue.
Dans Drapeau Blanc, il faut lire entre les lignes ou tu joues plus sur la transparence ?
Y’a pas mal de métaphores et de doubles lectures. Y’a des doubles sens que chacun peut s’approprier. Par exemple, pour les chansons « Pont des paradis perdus » ou « Château de sable », il y a plusieurs sens de lecture. Même si j’y parle de trucs personnels, c’est intéressant de voir que des gens se les approprient et que ça leur évoque des choses différentes. Quand je rencontre de nouvelles personnes, j’essaye de les questionner sur des moments de vie. Ce qui est beau, c’est que l’on peut traverser et vivre des choses différentes et avoir le même point de vue ou au contraire avoir un point de vue différent sur une même expérience. Je trouve que c’est la beauté d’un événement et d’une inspiration. Pour moi l’inspiration vient de là.
As-tu l’impression, en toute humilité, d’arriver à regarder des choses que certains ne font que voir et à les transcrire pour les leur rendre accessibles ?
Je pense qu’un artiste doit être capable de vulgariser des émotions. À travers la musique, on essaye parfois de dire l’indicible. Ce qui se voit se voit dans l’invisible. Le visible est dans l’invisible. On a besoin d’avoir les yeux fermés pour vraiment voir. Parfois c’est évident, mais ce n’est pas quantifiable, pas touchable, une émotion par exemple. Pour ma part, je ne pense pas arriver à ça tout le temps, mais j’essaye. Ceux qui arrivent le mieux à le faire sont ceux qui arrivent à le faire en cinq mots, comme Stromae. Moi j’ai besoin de six lignes pour y arriver.
Mettre des images sur les émotions, raccrocher des émotions abstraites à des faits concrets en sont un moyen ?
Complètement. Surtout quand tu fais de la musique. Je ne sais pas si tu as déjà eu écho de la synesthésie… C’est le fait de voir des images, des paysages ou des matières, pas forcément des couleurs. Ça m’arrive beaucoup en écoutant les prods de Majeur Mineur. Je sais que ça va dicter le reste. Dans l’introduction je voulais faire un texte sur la passation de la vie à la mort, mais je ne voulais pas faire un texte trop concret là dessus. Je voulais être dans une introspection. J’ai vu un pont entre deux choses. Donc clairement les images sur les émotions musicales sont essentielles, nécessaires.
On a parfois l’impression que t’es un messager parti observer des contrées lointaines, pour les raconter aux autres à ton retour…
Ah c’est un ressenti que tu as eu ? Wow, c’est ouf. Tu as bien fait de commencer en parlant d’humilité parce que ce serait trop arrogant de s’autoproclamer comme tel, mais je me sens parfois témoin de certaines choses. Il y a des fois où je me demande pourquoi j’ai pas écrit ce que je suis en train d’écrire avant, tellement c’était évident. Ça met le doigt sur un sentiment que je ressens depuis que je suis jeune. Je me souviens à 8-10 ans, quand j’ai vu Spiderman, il était perdu entre ses deux identités et je me disais : « je ne sais pas qui je suis, je ne sais pas où je suis… ». Ça a fait écho au fait que c’est une question qui est là depuis longtemps. Alors revenir dans le questionnement et essayer de le vulgariser est une complexité, mais c’est une volonté. C’est un chemin long qui demande un parcours de vie dans la prise de conscience de qui l’on est. Ça nécessite du temps et de l’expérience.
Est-ce que l’oral permet une démocratisation du texte, que l’écrit ne permet pas ?
Oui ! C’est une complexité, ça nécessite un effort. Les gens se retrouvent peut-être plus facilement dans un don oral. Les premiers écrits étaient réservés aux érudits alors que les histoires orales dans l’histoire de l’humanité ont toujours été dans le don.
Ça te fait plaisir d’entendre la foule scander tes paroles ?
De plus en plus, quand je me rends compte qu’elles ont un poids. Je reçois des messages hyper touchants de gens qui changent leur vie à travers ces paroles ou qui au contraire arrivent à poursuivre cette vie là alors qu’ils avaient des pensées assez sombres. Ça responsabilise. Mais je crois beaucoup à la loi de l’attraction donc je pense que c’est en scandant ces choses là qu’elles se produiront. Et je ne parle pas que de mon succès personnel, il est aussi question d’inciter les gens à croire en eux.
J’ai l’impression que tes textes sont compris par beaucoup, auditeurs comme journalistes, t’en penses quoi ?
C’est intéressant parce que c’est la question de l’authenticité dans le rap et la problématique du personnage qui peut créer un vrai monde cinématographique musical, mais qui, en même temps, ferme certaines portes pour la compréhension de la personne qui se cache derrière le rappeur. On m’a récemment dit que j’adaptais mon discours en fonction de l’auditoire. Mais je parle de la même manière à un journaliste qu’à mes potes. Dans cet album j’ai tenté d’être dans la brutalité au sens propre la plus totale, proche de la carapace, du noyau.